L'arrivée des nombres irrationnels fut laborieuse. L'introduction des racines d’entiers qui ne sont pas des puissances parfaites s'est accompagnée de nombreux questionnements sur la nature et l'essence des nombres. Un radical incommensurable avec l'unité et ses divisions est-il un nombre ?

« Non sans propos se fait un doute sur les nombres irrationnaux, s’ils sont nombre ou non. » Jacques Peletier du Mans, Algèbre, 1554 (« Des nombres irrationnaux en général »).

Cette interrogation du mathématicien et poète Jacques Peletier du Mans, membre de la Pléiade aux côtés de deux de ses contemporains, les poètes français Joachim du Bellay et Pierre de Ronsard, ne recouvre pas moins de deux questions : que sont les « nombres irrationnaux » ? Et, qu’est-ce qu’un nombre ? De fait, elles agitèrent les mathématiciens pendant de nombreuses années.

 

 

 

Jacques Peletier du Mans (1517‒vers 1582).

 

 

Des racines sourdes

 

Pour Jacques Peletier du Mans, la réponse à la première question est assez simple : « Les nombres irrationnaux sont les racines sourdes des rationnaux : comme ç2 [  dans nos notations modernes] : qui se prononce, la racine censique de 2. Item C 7 [soit  ] : qui est la racine cubique de 7. Et sont appellés irrationnaux, parce qu’ils n’ont aucune raison ni proportion avec les rationnaux : Joinct qu’ils ne se prononcent que par circonlocution. Et pour cela, ils sont nommés sourds : d’autant qu’en les prononçant, on n’entend point quels ils sont. »

Les « irrationnaux » sont ici uniquement les racines carrées ou cubiques de nombres ... Lire la suite