«
… Et on en déduit que si G est un groupe fini d’ordre n, et p un nombre premier qui divise n, alors il existe au moins un élément de G d’ordre p. »
Le professeur Phi se détourne de son tableau pour promener un regard scrutateur sur la classe afin de jauger l’effet de sa démonstration du théorème de Cauchy. Mais les étudiants en mathémagie de l’Institut intergalactique ne semblent pas avoir accueilli cette information avec l’enthousiasme attendu, et face à quelques bâillements mal réprimés, à autant de paires d’yeux papillotants, et à un ronflement qui sonne comme le clou de ce spectacle affligeant, le professeur ne peut s’empêcher de soupirer.
Il s’installe sur le coin de son bureau, ôte ses lunettes pour les essuyer avec la manche de sa blouse et tente une nouvelle tactique pour capter l’intérêt de ses élèves.
« Lorsque j’étais à votre place, commence-t-il, j’avais un professeur de mathémagie qui éprouvait une telle admiration pour Cauchy qu’il avait prénommé ses trois enfants Augustin, Louis et Cauchy. Il est malheureusement décédé il y a quelques années, mais non sans laisser derrière lui un testament… pour le moins étrange. »
La tactique semble fonctionner car l’audience est soudain tout ouïe. Satisfait, Phi reprend.
« Voici ce que mon professeur a stipulé dans ses dernières volontés confiées au notaire de la famille : “ Je lègue à Augustin, Louis et Cauchy ma maison, mes économies et mes cours de mathémagie, ils choisiront à tour de rôle en respectant scrupuleusement les règles suivantes :
1/ Aucun de mes fils ayant eu un biberon bleu ne peut choisir avant Augustin.
2/ Si Louis ne portait pas des sandales le jour de ses huit ans, le premier à choisir n’avait pas de serviette rouge.
3/ Si Louis ou Cauchy est le deuxième à choisir, Cauchy passe avant celui qui a mangé une glace à la framboise le jour de ses dix ans.”
Les trois héritiers se sont retrouvés bien embêtés car aucun des évènements auxquels leur père faisait référence ne leur disait rien. Mais le notaire leur a affirmé que toutes les indications étaient importantes et qu’aucune ne devait être laissée de côté. Et cette information a permis aux trois fils de se conformer fidèlement aux volontés de leur père en respectant l’ordre qu’il avait déterminé. »
La classe bruisse maintenant de murmures intrigués.
« C’est impossible !
– Il manque des informations ! »
Cher lecteur, vous pouvez tentez de résoudre cette énigme à partir de là. Si elle vous semble désespérément obscure, lisez ce qui suit !
« En désignant les héritiers par l’initiale de leur prénom, il y a 6 possibilités, indique Phi en les notant au tableau : {A, L, C}, {A, C, L}, {L, A, C}, {L, C, A}, {C, A, L} et {C, L, A}. Examinons la condition (1) : si ni Louis ni Cauchy n’avaient eu de biberon bleu, elle n’apporterait aucune information. Pour qu’elle soit utile, il faut que l’un au moins des deux ait eu un biberon bleu. Par conséquent, Augustin ne peut être le dernier à choisir et cela élimine {L, C, A} et {C, L, A}. Vous devez maintenant avoir compris le principe du raisonnement à tenir… »
Epsilon attrape la balle au bond.
« Louis ne devait pas porter de sandales le jour de ces huit ans, sinon (2) ne nous apprendrait rien. Et quelqu’un devait avoir une serviette rouge. S’il s’agissait d’Augustin, il serait donc deuxième puisqu’il ne peut être ni premier par (2) ni dernier par (1).
– Mais dans ce cas, rétorque Alpha, (3) ne donnerait aucune information. Donc Augustin n’avait pas de serviette rouge.
– Est-ce que Louis et Cauchy auraient pu tous les deux en avoir une ? s’interroge Bêta.
– Non ! s’exclame Epsilon, car dans ce cas, (2) nous indiquerait qu’Augustin est le premier à choisir. Et (1) ne servirait à rien ! Donc Louis ou Cauchy avait une serviette rouge, mais pas les deux. Idem pour le biberon : si Louis et Cauchy avaient tous les deux eu un biberon bleu alors Augustin serait premier et (2) ne nous apprendrait rien concernant l’ordre des héritiers. »
Cher lecteur, pouvez-vous poursuivre le raisonnement et conclure dans quel ordre les héritiers devront choisir ?