Une longue plainte désespérée résonne dans les austères couloirs de l'Institut intergalactique : « Mais pourquoi ce genre de truc m'arrive toujours à moi ? » gémit Bêta. Il lance un regard torve en direction du Perc-O-Lateur qui vient d'avaler sa pièce d'un brouzouf en omettant de lui fournir en échange la tasse d'arabica escomptée. « Bonne dégustation ! » lui lance la machine d'une voix mécanique et néanmoins suave, avec la satisfaction insolente du travail accompli. Seule l'arrivée d'Alpha et Epsilon sauve le Perc-O-Lateur d'un démantèlement sauvage.
« C'était mon dernier brouzouf, grogne Bêta avec mauvaise humeur, il va falloir que j'attende encore trois jours avant de toucher mon RUBI*. »
Alpha, en bon camarade, a déjà glissé une pièce dans la fente de la machine. Le Perc-O-Lateur, qui a dû sentir le vent du boulet, délivre cette fois une tasse fumante à souhait.
« Merci, soupire Bêta avec reconnaissance. Je ne pense pas être capable de survivre au cours du professeur Phi sans ma dose de K-féine !
– Pas de quoi, sourit Alpha. Mais tu devrais apprendre à mieux gérer ton budget… »
Bêta esquisse une grimace. « Je crois que c'est de famille. Je vous ai déjà parlé de ma grand-mère Bêta-Dine ? »
Les deux jeunes gens secouent la tête et Bêta enchaîne : « Elle passait des vacances sur Actarus et s'est retrouvée sans le sou une semaine avant la date prévue pour son voyage de retour. Un dérapage dans sa consommation de cocktails, je crois… Elle était en pension complète dans un petit hôtel miteux, tellement miteux qu'elle ne faisait pas confiance au propriétaire ; elle le payait au jour le jour.
– Comment s'en est-elle sortie ? s'enquiert Epsilon, curieuse.
– Par chance, elle avait un bracelet avec elle. Il était composé de sept anneaux, chaque anneau valant le prix d'une journée d'hôtel. Le propriétaire a bien voulu les accepter comme paiement. Seulement, ma grand-mère a dû dépenser ses toutes dernières économies pour payer le bijoutier qui a découpé le bracelet. Ce voleur lui a demandé dix brouzoufs pour chaque anneau coupé, elle a été obligée de débourser soixante brouzoufs… »
Epsilon prend un air songeur.
« Sais-tu si le bracelet de ta grand-mère était muni d'un fermoir ? demande-t-elle à Bêta.
– Hmm, je pense que oui, répond le garçon, surpris. Pourquoi cette question ?
– Eh bien parce que dans ce cas, lance Alpha sur le ton de quelqu'un qui a eu une révélation, elle aurait pu s'en sortir en payant seulement trente brouzoufs ! En effet, trois coupes suffisent pour séparer les sept anneaux, il n'y a qu'à couper un anneau sur deux et le tour est joué.
– J'ai mieux, rétorque Epsilon avec un sourire, Bêta-Dine aurait même pu ne demander qu'une seule coupe au bijoutier… »
Et vous, cher lecteur, voyez-vous comment la grand-mère de Bêta aurait pu s'y prendre pour donner chaque jour, pendant sept jours, son dû à l'hôtelier sans avoir eu à demander plus d'une coupe au bijoutier ?