Dénombrer pour exister : l’usage politique des quipus


Antoine Houlou-Garcia

L’action de dénombrer semble assez banale : on compte ce qu’il y a. Rien de plus enfantin... du moins en apparence. Car cette action implique des choix politiques très forts et peut avoir des objectifs économiques, sociaux, voire identitaires extrêmement importants.

Le fait de dénombrer implique, avant tout, de poser un regard sur le monde : on ne peut pas dénombrer les yeux fermés. Or, le regard de celui qui dénombre n’est pas le même que le regard que quelqu’un d’autre aurait posé sur cette même réalité à dénombrer. Il y a donc quelque chose de fondamentalement personnel dans le dénombrement, à travers par exemple :

- la manière de sélectionner (et donc de rejeter) ce que l’on dénombre (et ce que l’on ne dénombre pas) ;

- la façon de regrouper les entités que l’on compte (et donc de séparer : les hommes et les femmes, les fumeurs et les non-fumeurs, les majeurs et les mineurs...) ;

- la technique permettant de noter l’information (et donc de résumer certaines caractéristiques des entités dénombrées : on compte les gens résidant dans les cités, mais on ne compte pas les nomades).

 

Des choix nécessaires

Le dénombrement, de par son aspect individuel, nécessite des choix. Certains sont implicites parce qu’irréfléchis (on ne compte jamais les animaux domestiques dans les recensements de la population, alors même que l’on intègre au calcul du produit intérieur brut (PIB, voir encadré) les entreprises qui les vendent ou fournissent leur nourriture). D’autres choix sont explicitement déduits de raisonnements (on ... Lire la suite


références



Du bon usage des quipus face à l’administration coloniale espagnole (1550‒1600). 
Carmen Beatriz Loza, Population 53 (1‒2), 1998.




Zomia, ou l’art de ne pas être gouverné. James Scott, Le Seuil, 2013.
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Une histoire de la manipulation par les chiffres de l’Antiquité à nos jours. Antoine Houlou-Garcia et Thierry Maugenest, J’ai lu, 2022.