La possibilité des nombres
Frédéric Patras
Présentation
Le nombre est, avec la géométrie, à l'origine de la pensée mathématique. Depuis l'activité de dénombrement la plus élémentaire jusqu aux utilisations qui en sont faites dans les théories contemporaines, il s'agit d'une notion universelle par excellence, présente aussi bien dans la vie de tous les jours que dans les débats mathématiques ou logiques les plus avancés. Pour autant, en dépit de l'évidence qui accompagne ses usages quotidiens, sa compréhension est loin d'aller de soi et présente deux caractéristiques en apparence contradictoires. Tout d'abord, des origines de la civilisation à aujourd'hui, la compréhension intuitive que nous avons des nombres dits « naturels » n'a probablement guère changé ; pourtant, leur théorisation au sein des mathématiques a sans cesse évolué, faisant du concept de nombre l'arbitre de débats parmi les plus profonds ayant animé la pensée mathématique et philosophique. Il en résulte une variété étonnante de points de vue depuis lesquels leur nature profonde se laisse entrevoir. C'est à cette variété, à la beauté et la profondeur des analyses et des travaux qui la sous-tendent, que La Possibilité des nombres est consacrée.Biographie de l'auteur
Frédéric Patras, directeur de recherche au CNRS, est mathématicien et philosophe. Auteur, dans la même collection, d'un ouvrage sur La Pensée mathématique contemporaine, il a publié et édité par ailleurs une centaine de travaux sur des sujets variés. Tenant de l'idée d'une unité profonde de la pensée, il s'intéresse avant tout à ce que la tradition philosophique peut apporter aujourd'hui à notre regard sur la science et les mathématiques.
Note de lecture Tangente
L'évolution de notre regard sur les nombres
Quoi de plus élémentaire, de plus universel que la notion de nombre ? Ne vous y fiez pas nous dit Frédéric Patras, la « possibilité des nombres » nous conduit bien au-delà du simple 2 + 2 = 4 et nous plonge au cœur même des mathématiques. Même 2 + 2 = 4, ce n’est pas évident : en admettant que 4 = 3 + 1, il faut passer par d’inévitables intermédiaires. Si 2 est 1 + 1 et 3 est 2 + 1, alors 2 + 2 = 2 + (1 + 1) = (2 + 1) + 1 = 3 + 1, qui est bien égal à 4.
Voilà le problème posé : entre « l’immédiateté des nombres » et leurs enjeux mathématiques, la distance est grande, les chemins parfois détournés. Ce sont eux qu’explore l’auteur, à la fois philosophe et mathématicien, retraçant ici plus l’histoire du concept de nombre que l’histoire des nombres eux-mêmes. On peine parfois à suivre ses raccourcis historiques, mais tout ce qui compte entre mathématique et philosophie est là : Platon et « l’opposition dialectique du un et du multiple », Aristote et sa distinction entre « somme » et « tout », Pythagore et sa mystique du nombre, Euclide et son arithmétique des grandeurs. Le paysage des Anciens contient en filigrane l’évolution de notre regard sur les nombres, et sur les mathématiques en général. Les « modernes », dit l’auteur, suivent la voie : Cauchy, Peano ou Hilbert pour les plus « techniques », Cantor, Frege, Wittgenstein et Gödel pour les plus « philosophes ». Tout en renouvelant les points de vue, ils gardent dans leur pensée et leurs résultats la marque des origines. Ainsi se bâtit la science mathématique, qui se constitue « par cristallisation » autour de quelques problèmes bien posés.