L'informatique débranchée constitue un formidable outil pédagogique pour initier à la pensée informatique. Robert Cabane, inspecteur général honoraire, nous offre un tour d'horizon de tous les avantages à commencer l'informatique sans utiliser d'ordinateur.
Dans l’ensemble des stratégies didactiques permettant d’enseigner au mieux l’informatique, l’informatique débranchée tient une place à part, car il s’agit d’une activité « en rupture » :
- elle n’utilise ni ordinateur, ni tablette, ni même « le numérique »,
- elle n’amène pas à « écrire du code ».
Cette « double négation » de l’informatique débranchée peut surprendre. On peut pourtant faire sentir aux lecteurs qu’il s’agit d’une excellente porte d’entrée pour tout enseignement d’informatique.
Pour rendre (tous) les élèves actifs
Confronter les élèves à la programmation est souvent compliqué : pas assez de salles, ou de postes, matériel défaillant... ; cela peut aboutir à des organisations du type « deux élèves par poste », avec, en pratique, « un élève qui manipule et l’autre qui regarde » (situation où les rôles des filles et des garçons sont rarement symétriques !). Quand l’installation est satisfaisante, on voit souvent des élèves qui terminent très vite l’activité proposée alors que d’autres restent face à l’écran sans rien produire... C’est typique d’un enseignement d’informatique peu ou mal géré.
Pour réfléchir avant de toucher au clavier
Un défaut courant parmi les élèves apprenant l’informatique est de vouloir programmer tout de suite, taper à tout prix quelque chose sur le clavier sans avoir pris le temps de réfléchir. C’est le meilleur moyen pour ne pas aboutir, ou obtenir un résultat faux, inexploitable ou illisible. En mettant le clavier à distance, on apprend à structurer ses idées, chercher une approche satisfaisante, raisonner...
Pour démystifier le « numérique »
Le domaine (mal) nommé « numérique » est si vaste, si flou qu’on finirait presque par y rattacher tout ce qui passe de près ou de loin par la contemplation d’un écran ! L’éducation n’est ni une affaire de consommation (« numérique » ou pas) ni une contemplation de mirages accumulés sur des lucarnes magiques... Il s’agit plutôt de faire comprendre « ce qui fait que ça marche », quels sont les mécanismes à l’œuvre, comment inventer de nouveaux systèmes, résoudre des problèmes inattendus...
Pour prendre du plaisir
L’informatique débranchée peut se pratiquer avec du papier, des ciseaux, de la colle ou toutes sortes d’objets (matériels ou virtuels), et prend souvent la forme de défis, devinettes ou jeux à deux ou à plusieurs. L’approche ludique permet de captiver les élèves en limitant l’aspect rebutant de certains enseignements d’algorithmique ou d’informatique. Ils pourront même s’impliquer et vivre les situations, comme dans l’exemple suivant, au lieu de les observer de loin sur l’écran.
Je suis un pixel
Voici un jeu qui se joue à trois (Alix, Benji et Camille) sur un carrelage rectangulaire à grands carreaux. Alix choisit un entier naturel a et Camille un entier naturel b.
Au début, Benji est sur le carreau au coin Sud-Ouest de la pièce (en bas à gauche si on représente le carrelage par un rectangle ayant ses côtés respectifs N,E,S,O), et il tient à jour un compteur (ou score) s initialisé à 0.
Benji se déplace d’après la règle suivante :
-
Si s est strictement négatif, Benji avance d’un carreau vers le Nord et le score augmente de a.
-
Sinon, Benji avance d’un carreau vers l’Est et le score diminue de b.
Le jeu s’arrête lorsque Benji arrive sur un bord du carrelage. Quelle est la direction suivie par Benji ?
C’est de l’informatique !
L’algorithme sous-jacent à ce jeu est un grand classique de l’informatique graphique, c’est celui qui permet de tracer des droites sur un écran matriciel. Il a été développé dans les années 1960 par Jack Bresenham, alors employé chez IBM. Sur un écran constitué de pixels, une droite est représentée par un ensemble de petits carrés qui se touchent par les coins. Le problème consistait à générer la disposition de pixels qui fournirait la meilleure approximation de la droite.
Jack Elton Bresenham (né en 1937).
Variante
Benji change la règle du jeu : le carrelage fait 100 par 100 carreaux de côté, et on prend comme origine du repère le coin Sud-Ouest, et comme unité 1 carreau. Alix choisit un nombre R entre 1 et 100, Benji se place sur le carreau de coordonnées (R,0) et initialise le score s à 0. Dans la suite on notera (x, y) les coordonnées du point où se trouve Benji.
Benji se déplace ensuite d’après la règle suivante :
-
Si s est strictement négatif, Benji avance d’un carreau vers l’Ouest et le score augmente de x.
-
Sinon, Benji avance d’un carreau vers le Nord et le score diminue de y.
Le jeu s’arrête lorsque Benji arrive sur un bord du carrelage. Camille doit prévoir la trajectoire sui- vie par Benji !
De nombreuses activités peuvent ainsi être proposées aux élèves pour réfléchir aux nouvelles règles et contraintes imposées par les outils numériques, mais aussi aux multiples possibilités qu’ils offrent désormais.
RÉFÉRENCES
Construction d'une droite sur ordinateur, Hervé Lehning, La droite, Bibliothèque Tangente 59, 2017.
Images numériques, du pixel à la topologie, Sylvie Alayrangues, Mathématiques et informatiques, Bibliothèque Tangente 52.