Dès lors, le tableau des nombres figurés de Nicomaque apparaît, avec plus de lignes et de colonnes, dans de nombreux traités arithmétiques, comme chez al-Baghdadi (vers 980‒1037), Avicenne et Alhazen. Si quelques nouveaux résultats sont démontrés, c’est au XIIIe siècle que la conception des nombres figurés change radicalement.
Vers une interprétation combinatoire
Au même moment, chez deux mathématiciens lointains géographiquement, al-Farisi, en Perse, et al-Banna, au Maroc (plus précisément, à Marrakech), la conception des nombres figurés est remise en cause. Ils relient tous deux des questions de combinatoire aux nombres figurés.
Al-Banna s’intéresse en particulier à une question lexicographique :
« La sommation des carrés est utile dans la composition des mots trilitères pour dénombrer le contenu des langues et de choses semblables. Par exemple : Combien a-t-on de mots trilitères à partir des lettres de l’alphabet selon une seule figure, sans ses permutées ?
Le nombre de mots trilitères est égal à la somme des trigones dont le côté du dernier est inférieur au nombre de ces lettres de l’alphabet de deux et la somme des trigones s’obtient en multipliant le côté du dernier par le produit des deux nombres qui le suivent et en prenant le sixième du résultat, comme ce que l’on fait pour la sommation des carrés des impairs et des carrés des pairs. » (traduction : Mohamed Aballagh, Raf al-Hijabd’Ibn al-Banna, thèse de doctorat de l’université Paris-I, 1988 ; le titre du traité Raf al-Hijab signifie « Lever du voile sur les opérations du calcul »).
Ce texte signifie, en termes modernes, que le nombre de combinaisons de trois éléments parmi n est égal à la somme des n ‒ 2 premiers nombres triangulaires. Le résultat de « la somme des trigones s’obtient en multipliant le côté du dernier par le produit des deux nombres qui le suivent et en prenant le sixième du résultat », ce qui s’écrit ou, avec les notations de la combinatoire, comme un coefficient binomial :
Grâce au passage par les nombres figurés, al-Banna parvient à démontrer de nombreuses formules de combinatoire. Cela montre au passage que l’arithmétique arabe fut très novatrice, contrairement à l’image que l’on en a parfois, considérant que son intérêt ne serait qu’anecdotique par rapport aux contributions arabo-musulmanes en algèbre et en trigonométrie.
Ce faisant, al-Farisi et al-Banna ouvrent ainsi la porte à une conception moderne des nombres figurés, qui s’écarte définitivement des perspectives (souvent teintées d’arithmologie) grecques.