Double jeux : Fantaisies sur des mots mathématiques par 40 auteurs
Stella BARUK
Présentation
Présentation de l'éditeurIl est rare que les mathématiques suscitent d'emblée l'enthousiasme. Stella Baruk, qui se bat depuis longtemps pour leur restituer leur dimension ludique et culturelle contre l'obscurantisme de beaucoup d'enseignants, a demandé à 40 auteurs, littéraires autant que scientifiques, de disserter brièvement sur des mots mathématiques. Il en résulte un dictionnaire étrange qui, de "abaque" à "zéro" (qui n'est pas rien), va et vient dans l'imaginaire mathématique. Gilles Lapouge ausculte la cardioïde avec Jean Giono, Michel Deguy planche sur l'homothétie, Raphaël Pividal sur les propriétés du triangle ("Démontrer que la somme des angles d'un triangle est égale à 180 degrés, c'est simplement reconnaître que le triangle est une ligne droite cassée"), et Agnès Desarthe sur les vecteurs : "Si Robin des bois avait tiré des vecteurs sur la cible au concours de tir, il n'aurait jamais gagné le coeur de Lady Marianne." Stella Baruk, elle, touche juste avec ce florilège qui prouve qu'il n'y a aucun divorce entre langage mathématique et langue de tous les jours.
Note de lecture Tangente
Doubles jeux
Les mathématiques ont emprunté des mots à la langue. Puis elles les lui ont rendus, mais les mots n’étaient plus tout à fait les mêmes. Les mathématiques se les étaient appropriés. Était-ce malhonnêteté ? Stella Baruk a voulu que la langue prenne sa revanche. Elle a donc proposé à des écrivains de laisser aller leur imagination pour donner une définition, à la façon d’un dictionnaire, à certains de ces mots, qui permette à la langue de se les réapproprier.
Tous ceux qui aiment le jeu seront séduits par l’exercice de style. D’autant qu’à vouloir jouer avec les mots, on laisse parfois les mots se jouer de soi. Que j’ai appris de choses sur les écrivains, pas spécialement férus de mathé- matiques, qui se sont courageusement prêtés au jeu ! En bien et en mal... Car un bretteur en mots reste souvent à découvert...
Dans le style facétieux, l’Oulipien Paul Fournel redécouvre l’origine du mot « aléatoire », à propos d’une promenade en calèche imprévisible vers le village de Thouars (aller à Thouars), ou assimile avec drôlerie le mot « bicarré » à l’un de ses faux amis en citant Marcel Bénabou (« On vit alors sortir de Rome une foule bicarrée latine... »). La facétie de Viviane Forrester sur le mot « zéro » (rien après le titre) est un peu facile, et serait plus convaincante sur la définition du mot « vide ».
Dans le style poétique, on est séduit par Marie Desplechin, scandalisée par la vie dissolue de l’abscisse, cruelle maîtresse de l’ordonnée, qui n’a de cesse de rencontrer une nouvelle ordonnée, plus jeune, plus belle, après avoir enfanté un point avec la première. La même Marie Desplechin, qui s’est visiblement prise au jeu, remarque que Machin, élève borné, se voit souvent reprocher de dépasser les bornes...
Bien sûr, tout le monde n’a pas son talent, et certains écrivains ne ressortent pas grandis de l’expérience, mais c’est une occasion pour le lecteur de se demander ce qu’il aurait fait à leur place ! On se prend aussi à inventer des entrées qui ne figurent pas, et même à apprendre : j’ai découvert ce qu’est le degré d’ambiguïté d’un théorème, j’ai adoré l’histoire de Jean Giono et de la cardioïde... Bref, j’ai passé de bons moments, que je me suis distillés par petites lampées, en ouvrant le livre à une page... aléatoire !